Existentialisme et pessimisme - 11e partie : «En attendant Godot» de Samuel Beckett
Submitted by Anonyme (non vérifié)La pièce En attendant Godot, de Samuel Beckett, est considéré comme faisant partie du théâtre dit de l'absurde. En réalité, il n'y a pas de différence d'approche ni de perspective entre la phénoménologie, l'existentialisme et « l'absurde ».
Et c'est précisément cette conception qui est présentée comme le thème d'actualité aux lycéens, tant en première en français qu'en terminale en philosophie. Même si les élèves n’en intègrent pas les principes, le plus souvent incompréhensibles, peu clair, voire nettement délirants ils sont au fond en accord avec la conception ultra-individualiste affirmant que le monde est incompréhensible.
Même si cela leur semble rebutant, l'existentialisme, l'absurde, le pessimisme, tout cela reflète finalement leur propre vision du monde, la vision du monde bourgeoise, dont la phénoménologie est en quelque sorte la méthode.
Voici la toute fin de la pièce En attendant Godot. Il ne s'est rien passé de toute la pièce, l'attente de quelqu'un qui s'appelle Godot est totalement vaine, dans l'esprit existentialiste, même si évidemment la bourgeoisie masque cette dimension fondamentale, pour parler simplement de « condition humaine ».
Mais tout cela est, bien entendu, une arme idéologique, au service de l'idéologie existentialiste, pessimiste, qui célèbre l'absurdité comme condition humaine et la phénoménologie comme méthode.
« Le soleil se couche, la lune se lève. Vladimir reste immobile. Estragon se réveille, se déchausse, se lève, les chaussures à la main, les dépose devant la rampe, va vers Vladimir, le regarde.
ESTRAGON : Qu’est-ce que tu as ?
VLADIMIR : Je n’ai rien.
ESTRAGON : Moi je m’en vais.
VLADIMIR : Moi aussi.
Silence.
ESTRAGON : Il y avait longtemps que je dormais ?
VLADIMIR : Je ne sais pas.
Silence.
ESTRAGON : Où irons-nous ?
VLADIMIR : Pas loin.
ESTRAGON : Si si, allons-nous-en loin d’ici !
VLADIMIR : On ne peut pas.
ESTRAGON : Pourquoi ?
VLADIMIR : Il faut revenir demain.
ESTRAGON : Pour quoi faire ?
VLADIMIR : Attendre Godot.
ESTRAGON : C’est vrai. (Un temps.) Il n’est pas venu ?
VLADIMIR : Non.
ESTRAGON : Et maintenant il est trop tard.
VLADIMIR : Oui, c’est la nuit.
ESTRAGON : Et si on le laissait tomber ? (Un temps.) Si on le laissait tomber?
VLADIMIR : Il nous punirait. (Silence. Il regarde l’arbre.) Seul l’arbre vit.
ESTRAGON (regardant l’arbre.) : Qu’est-ce que c’est ?
VLADIMIR : C’est l’arbre.
ESTRAGON : Non mais quel genre ?
VLADIMIR : Je ne sais pas. Un saule.
ESTRAGON : Viens voir. (Il entraîne Vladimir vers l’arbre. Ils s’immobilisent devant. Silence.) Et si on se pendait ?
VLADIMIR : Avec quoi ?
ESTRAGON : Tu n’as pas un bout de corde ?
VLADIMIR : Non.
ESTRAGON : Alors on ne peut pas.
VLADIMIR : Allons-nous-en.
ESTRAGON : Attends, il y a ma ceinture.
VLADIMIR : C’est trop court.
ESTRAGON : Tu tireras sur mes jambes.
VLADIMIR : Et qui tirera sur les miennes ?
ESTRAGON : C’est vrai.
VLADIMIR : Fais voir quand même. (Estragon dénoue la corde qui maintient son pantalon. Celui-ci, beaucoup trop large, lui tombe autour des chevilles. Ils regardent la corde.) A la rigueur ça pourrait aller. Mais est-elle solide ?
ESTRAGON : On va voir. Tiens.
Ils prennent chacun un bout de la corde, et tirent. La corde se casse. Ils manquent de tomber.
VLADIMIR : Elle ne vaut rien.
Silence.
ESTRAGON : Tu dis qu’il faut revenir demain ?
VLADIMIR : Oui.
ESTRAGON : Alors on apportera une bonne corde.
VLADIMIR : C’est ça.
Silence.
ESTRAGON : Didi.
VLADIMIR. : Oui.
ESTRAGON : Je ne peux plus continuer comme ça.
VLADIMIR : On dit ça.
ESTRAGON : Si on se quittait ? Ça irait peut-être mieux.
VLADIMIR : On se pendra demain. (Un temps.) A moins que Godot ne vienne.
ESTRAGON : Et s’il vient ?
VLADIMIR : Nous serons sauvés.
Vladimir enlève son chapeau - celui de Lucky - regarde dedans, y passe la main, le secoue, le remet.
ESTRAGON : Alors, on y va ?
VLADIMIR : Relève ton pantalon.
ESTRAGON : Comment ?
VLADIMIR : Relève ton pantalon.
ESTRAGON : Que j’enlève mon pantalon ?
VLADIMIR : RE-lève ton pantalon.
ESTRAGON : C’est vrai.
Il relève son pantalon. Silence.
VLADIMIR : Alors, on y va ?
ESTRAGON : Allons-y.
Ils ne bougent pas. »