31 juil 1934

Le Tour de France : du sport ? (juillet 1934)

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Par Alex Ballu,
L'Humanité du 31 juillet 1934 – page La vie sportive.

 

Quels rapports y a-t-il entre le sport véritable et l'exploitation sportive qu'est le Tour de France ?

C'est la question que nous devons poser aux milliers de travailleurs qui ont attendu, parfois des heures entières, le passage des coureurs qu'ils n'ont eu le plaisir d'applaudir que pendant quelques secondes.

Car pour que ces dizaines de milliers de spectateurs manifestent tant d'enthousiasme envers les coureurs, il est bien évident qu'ils croient fermement en la seule vertu sportive de la grande épreuve.

Ce qui impressionne surtout ces braves gens, c'est la performance véritablement remarquable des coureurs, car il est peu commun de parcourir un si grand nombre de kilomètres, avec une grande moyenne horaire, sous plusieurs latitudes, par la chaleur et par le froid, dans des régions platement monotones ou accidentées à l’extrême.

 

Disons tout de suite que leur candide bonne foi est tout à fait justifiée. Les hommes qui accomplissent un tel prodige sont en effet nécessairement doués de grandes qualités sportives.

Le sport véritable est celui qui est pratiqué volontairement car il est une école de volonté, d'énergie, mais pour la satisfaction pure, le délassement de l'esprit, le renforcement physique, sans préoccupation d'ordre financier.

 

Or, le Tour de France ne pose, pour les patrons organisateurs comme pour les ouvriers coureurs que la dernières question.

Il ne peut venir à l'esprit de personne, de la part des spectateurs les moins avertis, des coureurs eux-mêmes et encore bien moins de l'organisateur, que cette course est strictement sportive.

En régime capitaliste, il n'y a pas de « mécène » désintéressé. Et ce n'est pas pas par philanthropie sportive que M. Desgrange organise son épreuve ?

Et croyez-vous que les professionnels de l'action sportive y trouvent seulement la satisfaction d'avoir triomphé des embûches et de la défaillance ?

Non ! Le coureur individuel que nous vîmes blessé, ensanglanté, pleurant dans la descente d'un col où il avait fait une chute terrible n'est reparti que parce qu'il avait absolument besoin de terminer la grande boucle pour assurer son existence matérielle dans le moment et pour l'avenir.

 

Il n'y a dans le Tour de France cycliste qu'un moyen exercé par un habile commerçant de réaliser une grande opération à bénéfices.

Le sport est le prétexte. Les coureurs, des ouvriers ; les organisateurs, les patrons.

Ces derniers imposent une lourde tâche aux premiers. Ils ont pour cela érigé un règlement soi-disant sportif, mais qui n'est en réalité qu'un code pénal dont les articles sont contre signés d'avance par les ouvriers coureurs, forcés de l'accepter pour gagner leur vie.

Ce règlement ne va-t-il pas jusqu'à prévoir et sanctionner le cas de rébellion individuelle ou collective ! Et si le cas de rébellion a été envisagé, c'est bien qu'il y a obligation pour les coureurs de produire et de subir la loi patronale.

 

 

Le but véritable est de profiter de l'intérêt de la foule pour le sport et le mouvement sportif en traitant des affaires.

Cette caravanes publicitaire qui précede les coureurs dans chaque étape est le but véritable et qui montre bien là décadence du « sport » officiel.

Comment en effet concilier, dans les colonnes du journal organisateur, - qu tire à un chiffre énorme pendant la durée de l'épreuve – comment concilier les effets « régénérateurs » du sport pratiqué et les méfaits de spiritueux alcoolisés dont on vante les « qualités » ?

 

C'est une contradiction évidente, mais qui passe cepenant pour anodine aux yeux de la grande foule abusée.

Le sport véritable n'a donc rien de commun avec l'exploitation publicitaire du Tour.

Ce qui ne veut pas dire que le sport ne puisse exister dans une épreuve de ce genre. Nos camarades de l'Union soviétique ont organisé le Tour cycliste de l'U.R.S.S. Récement des skieurs soviétiques ont fait un raid de 5000 kilomètres, de Irkoutsk à Moscou. Ils ont démontré de grandes aptitutes sportives en réalisant ces performances.

 

Aussi bien, le Tour de France n'aura de véritable valeur sportive que lorsqu'il sera libéré des buts de l'exploitation capitaliste.

Et cela ne saurait être réalisé que lorsque le pouvoir sera aux mains des travailleurs. Alors seulement le sport pourra prendre son essor vers ses seuls buts de régénération physique et de délassement moral.