1 fév 1942

Lettre aux intellectuels sur la sécurité communistes - Parti Communiste SFIC (1942)

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Parti Communiste SFIC, 1942

Chers camarades,

Ce document a pour objet d’inciter chacun à examiner d’un œil critique, non pas le travail des autres, mais le sien propre. (...) Les moyens de la police sont perfectionnés. Elle dispose d’un nombre considérable de policiers et d’indicateurs ; elle bénéficie d’une expérience prolongée dans la lutte contre notre Parti : elle peut barrer les rues, fouiller les maisons, vérifier les paquets, etc. Mais il est possible de la tenir en échec si nous réfléchissons sérieusement aux moyens d’égarer ses recherches et si nous appliquons avec vigilance les règles de sécurité.

Chacun de nous est responsable pour sa part de la bonne marche de l’organisation et de la liberté ou de la vie de ses camarades de combat. L’insouciance dans ce domaine serait un crime impardonnable.Prétendre justifier l’absence de précautions par une « hardiesse » supposée n’est que tenter pauvrement de masquer sa paresse et son esprit de facilité.

Compter sur la chance pour « passer à travers » est indigne d’un communiste qui prétend influencer les événements et non se laisser ballotter par eux. Attendre quand on se sait menacé, que le danger soit à la porte, c’est attendre l’arrestation.

Trop de courageux camarades sont tombés victimes de leur imprudence ou de celle des autres. C’est pourquoi nous voulons rappeler ici les principales règles de sécurité. Mais il ne faut pas oublier que, dans ce domaine plus que dans tout autre, rien n’est fait tant qu’il reste quelque chose à faire.

La moindre fissure peut livrer passage à l’ennemi. Les ruses de la Gestapo et de ses auxiliaires « français » se perfectionnent chaque jour. Notre devoir, comme notre intérêt, sont d’avoir l’esprit en éveil pour les déjouer à temps et être constamment en avance sur eux d’une invention ou d’une précaution.

LES FILATURES – C’est la grande technique policière, parvenue à un grand perfectionnement.

On est filé par une équipe de trois, quatre, cinq policiers, ou plus, bien camouflés (ouvriers en bleu, enfants, jeunes gens, vieillards, femmes à cabas, cyclistes, etc.) qui se relaient, se dépassent, se filent les uns les autres, en sorte qu’on ne voit jamais la même tête derrière soi. La filature est souvent interrompue dès que le filé semble s’en être avisé, et reprise une autre fois à partir d’un point fixe repéré (domicile, lieu de travail, station de métro fréquentée, point de départ de la première filature, endroit passager rencontré sur l’itinéraire, etc.)

La patience étant la qualité majeure de la police et, à son service, une arme redoutable, les flics attendront un, deux, trois mois s’il le faut pour lasser la vigilance de sa victime.

La filature peut se faire d’une manière presque invisible : pas dans la rue suivie, mais dans les rues parallèles ; on se retrouve aux croisements ! Elle est engagée soit à partir d’un autre camarade filé soit du domicile ou d’un point fixe repéré, soit encore au hasard, en cas d’attitude suspecte. Il résulte de cette technique les règles impératives qui suivent.

LES RENDEZ-VOUS

ne doivent pas être pris dans le quartier d’habitation ni dans celui du lieu de travail : sinon on finira toujours par se faire remarquer. Il ne faut pas avoir peur de faire des kilomètres.

Comment ce camarade qui donne un rendez-vous à cinq minutes de son lycée, un quart d’heure avant la rentrée, pourra-t-il s’assurer qu’il n’a pas été suivi après le rendez-vous ? (...)

Que de pareils procédés persistent et tous les progrès dans l’agitation peuvent être anéantis un beau matin par des arrestations massives. Si la rencontre peut avoir lieu dans un local professionnel d’une manière très plausible, ne pas arriver ni sortir ensemble ni traîner dans les environs.En temps de paix, un léger désordre et l’incapacité d’arriver à l’heure pouvait être un travers aimable ajouté à d’autres charmes. Il est maintenant inadmissible et prouverait une véritable incapacité de s’adapter aux conditions du travail illégal.

Arriver en retard à un rendez-vous, c’est rendre suspect celui qui attend et rendre possible un filature : on ne sait jamais par qui on est vu.

Cela conduit à se presser et à négliger de vérifier si on est pas suivi ; on risque ainsi d’amener les flics au rendez-vous et si le fait se produit habituellement il peut provoquer des catastrophes. Ne pas venir au rendez-vous, c’est mettre ne danger un camarade, désorganiser le travail et faire preuve d’un grave manque de conscience. Ces deux pratiques sont inadmissibles. (...) Il est essentiel de changer constamment les lieux de rendez-vous et, sauf quand on transporte des paquets, utiliser la banlieue le plus possible. Avoir un repêchage différent pour chaque camarade. Se déplacer sans cesse pour ne pas ses faire remarquer. Prévoir avant de partir de chez soi les lieux de rendez-vous que l’on donnera dans la journée, en étudiant le plan (ne pas l’avoir sur soi : cela a causé l’arrestation de camarades incapables de justifier sa présence), sans quoi, on en viendra immanquablement à un lieu déjà fréquenté.

Il est absolument obligatoire de s’assurer, sans aucun doute possible, que l’on n’est pas filé, avant et après chaque rendez-vous, de même qu’en partant de chez soi et avant d’y revenir.

Pour cela, passer par un véritable isoloir (série de rues désertiques, autobus pris au vol, etc.) constamment renouvelé. Chaque demiheure ainsi « perdue » est gagnée pour la sécurité.Dès qu’il se produit quelque chose de suspect, quitter sans délai et définitivement son domicile et cesser de fréquenter les lieux habituels. Il vaut mieux partir quelques mois trop tôt qu’une heure trop tard... menottes aux mains.

LE CLOISONNEMENT – Pas de « services » rendus ou demandés à tel ou tel groupement de résistance sans précaution. Pas d’ « échange d’informations » entre services qui n’ont pas à travailler ensemble. Pas de relais brûlés sous prétexte de gagner du temps.

Seules les liaisons régulières à l’intérieur du Parti ou de l’organisation de masse où vous militez doivent être assurée. Aucun contact nouveau ne doit être pris sans l’autorisation du responsable à l’échelon supérieur.

Agir autrement, c’est un jour, promener la Gestapo dans l’organisation et rendre impossible la limitation des dégâts.

SURVEILLANCES – Tout coup de téléphone peut être écouté ou enregistré sur disque, toute lettre et tout pneumatique peuvent être lus sans que rien ne le décèle .Y parler en clair du travail ou de rendez-vous est un crime impardonnable.

N’utiliser ces procédés qu’en cas de nécessité absolue et en usant de conventions soigneusement établies au préalable.

Les réunions à domicile sont à proscrire pour les mêmes raisons, à moins qu’elles ne se fassent chez des gens absolument insoupçonnables. Et même alors, il faut changer de lieu à chaque fois pour ne pas attirer l’attention. (...)

Les visites à domicile doivent être évitées, à moins de nécessité absolue et s’il y a une « couverture » bien organisée. La classiquesouricière est encore trop souvent à la base de chutes. Il faut donc s’assurer avant la visite, par un dispositif approprié, que tout est normal.

PRECAUTIONS ESSENTIELLES – S’il se trouve encore des camarades pour écrire des rendez-vous en clair, ne fût-ce que « pour quelques minutes », pour noter en clair des noms, adresses ou numéros de téléphone ou des indications concernant l’action patriotique, ils attentent à la sécurité du Parti, à la liberté et à la vie de leurs compagnons de lutte : ce sont des criminels et ils doivent savoir qu’ils seront traités comme tels.

Tout doit être camouflé au moyen d’un code ou d’un procédé mnémotechnique bien étudié et connu de l’intéressé seul. Une simple date et une heure sur un carnet peuvent fournir un recoupement ou une preuve fatale au détenteur du carnet ou à un autre. Rien ne pourra excuser de pareils agissements. On laisse souvent traîner chez soi des lettres, enveloppes, factures, vieilles adresses, livres dédicacés, photos, etc. Qui en cas de perquisition, entraînent des catastrophes .Il faut faire place nette, procéder soi-même à une perquisition soigneuse en bannissant tout fétichisme et toute sentimentalité. Le temps reviendra des souvenirs et du désordre légendaire des bureaux d’intellectuels ! Des camarades ont encore l’habitude d’utiliser leur vrai nom dans le travail. Cela doit cesser. Il faut se servir de pseudonymes même entre camarades se connaissant parfaitement.

Sinon, on lâchera, par inadvertance, un nom devant un tiers qui ne le connaît pas et n’a donc pas à le connaître, ou on parlera trop haut dans la rue, où tous les passants ne sont pas sourds Des camarades promènent encore sur eux de la «littérature» à nu.Ainsi la fouille la plus anodine les conduit à la Santé. Des communistes doivent faire preuve d’imagination pour transporter discrètement le matériel.

Des camarades bavardent encore comme des concierges, racontent ce qu’ils sont ou vont faire, se vantent, interrogent. Certains membres du Parti, ou même des non-membres, arrivent ainsi à en savoir long sur notre organisation, nos projets, voire nos adhérents. Toute parole inutile est une parole dangereuse.

Les bavardages discréditent leur auteur et le rendent suspect, ils nuisent au Parti et favorisent la répression. Donc, bouche cousue. Ne rien dire, ne rien demander en dehors de ce qui est utile au travail, telle est la loi du militant.

RAFLES – Elles se multiplient actuellement et rien ne permet de croire à leur prochaine diminution.

Cela exige des camarades, surtout des porteurs de matériel ou de papier non en règle, une attention sans cesse en éveil. Il faut éviter les lieux fréquentés où opère la police désireuse de rendement. Ne jamais faire demi-tour brusquement, se mettre à courir ou à hésiter, ce qui est le meilleur moyen de se faire prendre par les bourriques qui flanquent le barrage à quelque distance. Avoir toujours une justification prête de sa présence à l’endroit où l’on est et des paquets ou objets que l’on a sur soi. Convenir avec le camarade avec lequel on est en rendez-vous de ce qu’on dira si l’on est interpellé.

Il existe dans la police des patriotes qui font leur devoir de Français et laissent passer les militants de la Résistance ; mais ils sont rares. Il faut se méfier, craindre les provocations : on vous laisse aller eton vous file. Dans un cas semblable, faire un tour dans un isoloir sérieux, sans se laisser griser par la disparition du danger. Les légaux doivent, en cas de rafle, protester, créer des incidents pour briser la passivité avec laquelle le public accepte trop souvent ces opérations. On complique ainsi la tâche des flics et on permet à des patriotes de s’échapper.

EN CAS DE CHUTE – Une seule consigne : NE RIEN DIRE. Un militant qui sait beaucoup de choses ne dit rien. Parler c’est trahir.

Trahir son pays, son Parti, ses frères d’armes. Aucun coup, aucune torture, aucune pression, aucune ruse, aucune menace ne peut faire accepter le déshonneur ineffaçable que le donneur attache à son nom.

Pas un mot ne doit sortir des lèvres d’un communiste tombé dans la lutte ; rien ne sert de tenter de jouer au plus fin avec la police : tout renseignement, si minime soit-il, sert à un recoupement, confirme un autre renseignement.

Parler sur soi, son travail, ses responsabilités, ce n’est pas seulement se charger soi-même, mais aussi renseigner l’ennemi sur le Parti. Répéter ce que la police sait ou croit savoir, c’est confirmer à l’ennemi ses renseignements.

Essayer de ruser, c’est risquer de se couper et c’est encore renseigner l’ennemi.

Notre cher Politzer et des milliers d’autres communistes, torturés odieusement pendant des journées entières, n’ont pas dit un mot. Ils ont préféré la mort à la honte : ils se sont couverts de gloire et ont infligé à la Gestapo de Hitler une cruelle défaite. Leur exemplemagnifique nous montre la voie à suivre. Trop souvent, ce sont les camarades qui, par leurs aveux, ont fourni contre eux-mêmes à la police les preuves qui lui manquaient. On ne sait rien, on ne connaît personne, quoi que prétendent les flics sur les déclarations des uns ou des autres. (...)

De plus, mille exemples prouvent que parler ne sauve pas ; c’est aussi s’attirer des tortures redoublées parce que les flics espèrent qu’on en dira encore.

Le traître qui a parlé, si peu que ce soit, sera livré tôt ou tard à la justice du peuple. Mais dès maintenant le mépris le plus total, la mise à l’écart stricte, tel est son lot, sans préjudice, le cas échéant, de mesures plus énergiques.

Rien n’excuse la trahison. Ceux qui excusent les donneurs sont euxmêmes des donneurs en puissance ; ils ont déjà décidé dans leur for

intérieur qu’ils parleront et se justifient d’avance. Ils doivent être éliminés impitoyablement.

La police relâche les traîtres et tente de leur faire reprendre leur place dans nos rangs. Dans d’autres cas, elle relâche des camarades honnêtes, mais les surveille dans l’espoir qu’ils reprendront contact et amèneront d’autres captures. Tout libéré, évadé (il en est de faux) est donc suspect a priori et doit être tenu à l’écart par tous tant que le Parti n’a pas statué sur son cas après enquête.

CONCLUSIONS – Les succès de la police sont dus le plus souvent à des fautes de notre part. Il faut donc combattre en nous, jour après jour, le laisser-aller, le fatalisme, l’insouciance, auxiliaires de la répression.

Chaque circonstance de notre vie appelle une mesure de sécurité appropriée, sachons la découvrir et l’appliquer à toutes, sans jamais nous démobiliser une seule minute, parce que c’est précisément à cette minute que l’ennemi aux aguets frappera. Cent précautions sont inutiles, mais la cent-unième sauve un homme ou une organisation.

Voilà chers camarades, ce que nous voulions vous rappeler. Nous aimons notre Parti plus que notre vie même, parce qu’il incarne les meilleures qualités de l’homme et parce qu’il conduit le peuple de France vers un destin de liberté, de force et de culture. Si, par notre légèreté, nous permettons à l’ennemi de l’atteindre, nous aurons honteusement trompé la confiance qu’il met en nous. N'oublions pas enfin, que l’inaction n’est pas une protection. Ce n’est pas en se repliant sur soi-même qu’on se protège, et la prudence est le contraire de la passivité.

C’est en ayant l’esprit offensif, en portant sans cesse des coups à l’ennemi, que nous désorganiserons le mieux sa défense et assurerons ainsi notre sécurité.

Agir avec décision, avec vigilance, sans affolement, en se gardant également de la flicomanie stérilisante et de l’insouciance criminelle, voilà ce que le Parti attend de nous.

Les grandes questions: