15 juin 1935

La M.O.I. polonaise et les luttes des mineurs - S. Polski (juin 1935)

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S. Polski, juin 1935

Le trait particulier du problème minier dans la région du Nord de la France consiste en ceci, que l'effectif minier se compose de plus de 50 % de mineurs polonais.

Dans certains puits, cet effectif est supérieur et atteint même 70 à 80 %.

Les mineurs polonais sont occupés surtout au travail du fond, à l'abattage, à l'accrochage et au boisage – travail déterminant dans les mines et, en même temps, le plus dur et le plus dangereux.

Le rapport du Comité central des Houillères de France, présenté le 22 mars dernier, signale à ce sujet : « 80 % des travailleurs étrangers que vous occupez sont actuellement employés au fond. Les deux tiers sont des professionnels : piqueurs et boiseurs, qui représentent 46 % de l'effectif total des ouvriers qualifiés du fond ».

Se servant de la politique de répression et des menaces, la maîtrise les accable de brimades.

Les mineurs polonais constituent ainsi la couche la plus exploitée.

La conquête des couches les plus exploitées a été posée par le dernier C.C.N. De la C.G.T.U. Comme une des tâches principales.

C'est pourquoi on ne peut pas concevoir le développement des luttes chez les mineurs sans prendre en considération l'hétérogénéité nationale des effectifs miniers et sans trouver les méthodes et les mots d'ordre susceptibles d'attirer en même temps les mineurs francais et polonais à notre politique de lutte de classe.

La politique patronale et la M.O.I. Polonaise

Le patronat minier a su très adroitement exploiter la composition nationale hétérogène des effectifs miniers. Sa politique consistait et consiste toujours à opposer les intérêts des mineurs français à ceux des étrangers ; il entourait l'introduction des attaques contre tous les mineurs d'une démagogie xénophobe en se montrant comme le défenseur des mineurs français aux intérêts desquels il est obligé de subordonner les intérêts des mineurs étrangers.

Les événements de l'année qui viennent de s'écouler ont prouvé d'une façon éclatante comment les compagnies minières, en se servant de la M.O.I. Polonaise comme d'une « soupape de sûreté », ont réussi à réaliser les attaques inouïes contre les conditions de travail et de vie de tous les mineurs.

L'augmentation du rendement individuel - cause et conséquence des refoulements des mineurs polonais

« Alors que la réduction des effectifs français continuait à s'opérer dans la généralité des cas, par le jeu naturel des mises à la retraite, le souci d'alléger le chômage vous a conduits l'an dernier à accentuer par des licenciements la compression des effectifs étrangers

», dit le rapport du Comité des Houillères, cité plus haut.

Au printemps 1934, Plusieurs milliers de mineurs polonais furent refoulés, en particulier du bassin du Pas-de-Calais. Une campagne xénophobe fut menée à grand éclat en promettant que ces refoulements permettront de diminuer et même de supprimer le chômage partiel et de réembaucher les mineurs français en chômage.

Le vrai but de ces refoulements n'a pas tardé de se faire jour. Devant la crise charbonnière persistante et qui allait en s'aggravant ; en entraînant une concurrence effrénée, le Comité des Houillères s'est posé comme but la diminution du prix de revient du charbon.

Les refoulements des 7 à 8.000 mineurs polonais allaient donc de pair avec l'introduction d'une vague de rationalisation et le renforcement des attaques partielles qui ont diminué en effet le prix de revient du charbon, en diminuant, en même temps, le niveau de vie de tous les mineurs.

Les mineurs polonais refoulés ne furent nulle part remplacés ; par contre le rendement individuel de chaque mineur fut considérablement augmenté.

D'après le rapport du Comité central des Houillères, cité plus haut, l'effectif ouvrier inscrit a baissé de 244.264 fin décembre 1933 à 230.847 fin 1934.

La production a augmenté en même temps de 700.000 tonnes. C'est ainsi, par exemple, qu'au puits 6 de Courrières, dans la plupart des tailles, quatre mineurs furent remplacés par deux, desquels on exige le même travail.

Au 6, d'Ostricourt, on exige d'une équipe travaillant dans le quartier 13 le même rendement qui a été effectué auparavant par deux équipes.

Dans le puits Barrois, le rendement individuel dans les longues tailles a augmenté de 40 % au cours des quelques derniers mois.

La méthode de faire pousser aux rouleurs plusieurs berlines à la fois (contre laquelle les mineurs du 10, de Leforest, ont fait une grève victorieuse au mois de mai 1934) est actuellement un fait courant dans la plupart des puits.

Cette vague de rationalisation est accompagnée de brimades et d'abaissement des salaires des mineurs par suite des déclassements, amendes, mises à pied.

Voici quelques exemples : au puits 9, d'Escarpelles, depuis trois mois, régulièrement à chaque quinzaine, 145 à 150 mineurs sont amendés de 1 à 2 fr.

Au puits 1, d'Ostricourt, les amendes atteignent 18 à 30 fr. Pour un mineur.

Dans le puit Barrois, cinq à dix mineurs sont journellement mis à pied pour un et plusieurs jours.

Cette rationalisation est la cause des multiples accidents mortels qui augmentent de plus en plus.

Poussés au travail à l'extrême limite, les mineurs n'ont pas de temps pour boiser suffisamment.

Au cours des deux dernières semaines, quatre mineurs polonais furent tués dans les mines du Pas-de-Calais.

Les multiples attaques partielles ont, en réalité, supprimé la convention collective des salaires

Les attaques partielles revêtent les différentes formes dans chaque puits et même dans chaque taille, englobant un nombre de plus en plus grand de mineurs.

Ces attaques partielles ont abouti à l'attaque générale qui a supprimé en fait la convention des salaires sans la dénonciation officielle.

Les mineurs, payés à la base 10, sont de moins en moins nombreux. De plus en plus souvent, on voit les mineurs travaillant à l'abattage payés à la base 9 et 8, quoique la convention leur assure le salaire de la base 10.

Au puits 3, d'Ostricourt, par exemple, le classement prévu dans la convention est, en fait, supprimé et remplacé par le salaire à la tâche, dont le taux est tellement bas (il faut exécuter 485 points pour avoir le salaire de la base 10 et 430 pour celui de la base 9) qu'en fait tous les mineurs ont subi le déclassement et ne sont pas payés suivant le salaire conventionnel. Au puits 9 d'Escarpelles, on est parvenu à payer à certains rouleurs la somme de 17-18 fr. Par jour en introduisant la paie à la tâche de 75-85 cm3 par berline.

La convention sur le chômage partiel n'existe plus

Le chômage partiel qui, ces derniers temps, va en augmentant n'a pas la même allure dans les différents concessions et puits. Aux puits Saint-René et Dechy (Aniche), par exemple, il n'y a presque pas de chômage partiel.

Par contre, dans les concessions de Courrières et d'Anzin, le chômage partiel atteint six, sept et même huit journées par mois.

Depuis les trois-quatre derniers mois, les mineurs ne reçoivent plus l'indemnité de chômage à partir du quatrième jour, revendication qu'ils ont arrachée lors des marches des mineurs sur les préfectures en novembre 1933.

Chaque compagnie s'arrange comme elle veut avec les indemnités pour les journées chômées.

Au puits 8, de Courrières, par exemple, les mineurs chôment six jours par mois et ne reçoivent aucune indemnité de chômage partiel.

Depuis deux mois, les mineurs du puits Minières (Anzin) recoivent pour huit journées de chômage par mois une indemnité de 7 francs.

Le Comité des Houillères s'oriente vers la suppression complète de cette conquête des mineurs.

Le rapport du Comité central des Houillères, dont nous parlions plus haut, en examinant 1a question des allocations pour le chômage partiel, dit :

« Aller au delà pour les mines, ce serait ouvrir un droit commun nouveau qui, généralisé tôt ou tard à l'ensemble des industries, creuserait un gouffre dans les finances publiques et dans tes trésoreries des entreprises et alourdirait encore le prix de revient national. »

 

Les dernières actions des mineurs

Toutes ces attaques ont créé une situation intenable dans les puits. Le mécontentement grandit et gagne les couches de plus en plus larges des mineurs.

Les syndicats unitaires ont été les seuls qui ont mobilisé les mineurs contre ces attaques. (La grève des Puits 4, 5 et 13 de Cour rières, manifestation à Dourges, grève de Leforest contre les refoulements, marche du 23 décembre pour les revendications générales des mineurs.)

La plus grande faiblesse des actions partielles contre les refouIements consistait en ceci qu'on n'est pas parvenu à lier cette lutte avec la lutte contre la rationalisation – cause et conséquence des refoulements.

Cela a abouti à ce que, presque partout, seuls, les mineurs polonais se dressèrent contre les refoulements sans avoir entraîné en même temps les mineurs français dans ces batailles. Cela a contribué à créer chez les mineurs polonais un certain courant de résignation.

Cet état d'esprit est continuellement alimenté par les organisations fascistes et cléricales polonaises qui disent aux mineurs polonais qu'ils ne peuvent pas lutter dans un pays étranger et qui essaient de les entraîner dans leurs rangs par différentes promesses démagogiques.

Cela a été également une des causes pour lesquelles les mineurs polonais n'ont pas participé en masse aux marches des mineurs du 23 décembre.

Les syndicats confédérés et la M.O.I polonaise

Les dirigeants des syndicats confédérés des mineurs constituent l'aile la plus à droite de la C.G.T.

Ils s'opposent systématiquement à toute proposition d'unité d'action et d'unité syndicale, à toute action concrète. L'effectif de leurs adhérents dans les bassins miniers de la région du Nord étant composé de plus de 50 % des mineurs polonais, les dirigeants des syndicats confédérés ont su mettre à profit ce facteur de leur politique de freineurs des luttes et d'ennemis d'unité d'action et d'unité syndicale.

Etant donné le développement du courant d'unité d'action chez les mineurs confédérés polonais et l'accord intervenu entre les sections confédérées polonaises de certains puits du Douaisis, de Sallaumines et d'Escaudain, les dirigeants confédérés polonais, à l'aide de circulaires, de propagande orale dans leurs sections et au congrès du Syndicat confédéré des mineurs du Nord, qui a eu lieu le 30 décembre à Douai, ont mis en avant l'argument que, vu la répression, les confédérés polonais n'ont absolument aucun intérêt à ce que l'unité syndi cale soit réalisée, car ils seront immédiatement expulsés de France si le syndicat unique est créé.

Le même argument fut employé par eux pour empêcher la préparation commune du 1er mai à la base, bien que les unions locales confédérée et unitaire de Douai organisaient cette journée en commun.

Les chefs confédérés ont exploité également les défaites partielles des actions contre le refoulement (dont ils portent une grande responsabilité) en essayant de créer une panique chez les mineurs polonais et de prouver à tous les mineurs l'impossibilité des luttes en période actuelle et en mettant en avant leur programme de contingentement auquel ils subordonnent toutes les autres revendications et en particulier celle ayant trait au chômage partiel.

Comment organiser l'action de masse dans les mines

Face à la situation épouvantable dans laquelle travaillent les mineurs, le mécontentement grandit.

De plus en plus souvent, on entend les mineurs dire que « la mine est devenue un enfer ».

« La mine est devenue une poudrière, prête à éclater, qu'il faut allumer ».

 

Cette définition. Donnée par un des camarades de la C.G.T.U., est extrêmement juste.

Pour allumer cette poudrière, il faut prendre en considération trois problèmes principaux :

1° Trouver les mots d'ordre susceptibles d'entraîner en même temps les mineurs français et polonais à la lutte.

2° En prenant en considération la multitude des formes que revêtent les attaques partielles dans chaque puits, engager un travail d'agitation et d'organisation pour la réalisation des actions partielles dans les puits et les tailles à la base de front unique entre les sections unitaires et confédérées.

3° Tout en organisant les actions partielles et en réalisant le front unique à la base dans chaque puits, trouver les mots d'ordre revendicatifs concrets qui LIENT TOUS LES MINEURS et qui sont capables de réaliser l'unité d'action sur le terrain le plus large, sur le terrain d'un ou de plusieurs concessions et bassins.

Quels sont ces mots d'ordre ?

En liaison avec les nouveaux décrets du gouvernement Flandin contre les travailleurs immigrés, on renouvelle aux mineurs polonais leur carte d'identité seulement pour six mois, c'est-à- dire jusqu'à juin-juillet.

La dévaluation du, franc belge pose devant le Comité des Houillères la menace de la concurrence du charbon belge et la nécessité de diminuer encore plus le prix de revient du charbon français.

Pour abaisser le prix de revient, une nouvelle vague de rationalisation est introduite actuellement dans les mines. Le chronométrage est devenu une méthode quotidienne dans tous les puits et, de jour en jour, la tâche fixée pour le rendement individuel va en augmentant.

Tout cela laisse prévoir que nous nous trouvons, dans les bassins miniers de la région du Nord, à la veille de nouveaux refoulements des mineurs polonais.

D'ailleurs le rapport du Comité des Houillères fixe ouvertement. Cette perspective, il dit : « L es houillères ont pu réduire d'un tiers leur personnel d'origine étrangère. C'est essentiellement sous la même forme que le même effort pourrait être poursuivi, s'il devait l'être ».

Face à cela la revendication la plus susceptible d'entraîner les mineurs polonais à la lutte est actuellement : contre tout refoulement .

Cette revendication n'est réelle et concrète que si elle est liée inséparablement avec la lutte contre l'augmentation du rendement individuel qui touche les mineurs français au même degré que les polonais.

Les mineurs comprennent cela de plus en plus. C'est ainsi que dans le numéro du « Pravo Ludu » du 13 avril la section confédérée de Lourches demande à la C.G.T. « d'intervenir contre le rendement du travail exigé, qui est au-dessus de nos forces ».

Les délégués au Congrès des syndicats chrétiens d'Anzin posent comme une des revendications : la suppression du chronométreur.

Le congrès des Syndicats libres, qui a eu lieu le 14 avril dernier à Lens, a voté une résolution où, entre autres, il pose la question de sécurité dans les puits et la nécessité d'élargissement des pouvoirs du délégué mineur.

Le même jour a eu lieu à Douai le congrès national du Syndicat chrétien polonais (Z.R.P.) où plusieurs délégués ont soulevé la question : « des exigences exagérées du rendement de travail au fond ».

Donc la revendication principale actuellement pour les mineurs polonais et français est : contre tout refoulement, pour la diminution du rendement individuel.

En concrétisant ce mot d'ordre général, on peut le poser sous la forme de : contre les refoulements et pour la création des comités de puits qui veilleront à la sécurité et sur la réglementation du taux de rendement individuel .

Ce mot d'ordre permettra d'engager en même temps une campagne générale et de l'appuyer par des actions partielles dans les différents puits (comme le font, par exemple, les mineurs du puits Ledoux, qui, dans une taille, ont réussi depuis 3 mois à s'opposer régulièrement et victorieusement à l'augmentation du taux de rendement).

La deuxième revendication générale, susceptible d'entraîner les mineurs français dans la lutte, est le paiement de l'indemnité de chômage pour chaque journée chômée.

Cette revendication que posent également les syndicats confédérés peut nous permettre de créer un large front unique d'action..

La troisième revendication qui peut nous permettre de mobiliser en même temps les mineurs français et polonais est celle du respect de la convention des salaires.

La campagne générale pour ce mot d'ordre doit être en même temps liée avec les actions concrètes dans chaque puits pour le remboursement des amendes, pour le retrait des mises à pied, pour le reclassement des déclassés.

Ici également nous, avons un petit exemple concret dans le puits Bonnel où, dernièrement, dix mineurs ont réussi à imposer le remboursement des amendes à 2 mineurs amendés. La réalisation du front unique d'action à la base au cours de chaque action partielle nous permettra d'élargir l'unité d'action, dans les campagnes générales, et les mineurs français et polonais fraternellement unis dans la lutte pour leurs revendications communes briseront tous les obstacles que les chefs confédérés posent sur le chemin de l'unité syndicale et arracheront les meilleures conditions de vie et de travail.

Nota bene : Notre stratégie a pour but de renverser le régime capitaliste tout entier.

Mais, tenant compte du degré d'organisation et de conscience de la classe ouvrière à l'heure actuelle, le Parti communiste doit se donner pour tâche immédiate de repousser énergiquement l'offensive du Capital contre les conditions d'existence des masses ouvrières, de mettre obstacle à l'offensive fasciste, d'empêcher la préparation d'une nouvelle guerre impérialiste, afin de préparer dans ces combats lés masses travailleuses à la lutte décisive pour le pouvoir.

Dans ces conditions, la tâche la plus importante du Parti révolutionnaire dans tous les pays capitalistes est d'établir le front unique des masses ouvrières.